Comment rater le recrutement d’un cadre

Lorsque vous recrutez un cadre les enjeux sont importants : si vous vous trompez cela peut avoir de graves conséquences sur le fonctionnement et sur la motivation de l’équipe qu’il va diriger ainsi que sur la coopération avec ses collègues et avec sa hiérarchie.

Voici quelques suggestions si vous voulez augmenter la probabilité de rater ce recrutement.

Même si vous savez à l’avance que vous allez devoir recruter, attendez le dernier moment. Cela vous permettra de faire quelques économies sur la masse salariale. Cela conduira également tous les acteurs concernés à travailler dans l’urgence. Cela mettra en tension l’équipe qui doit faire face à l’absence prolongée de la personne à recruter. Le nouveau collaborateur ne pourra pas bénéficier d’un tuilage avec son prédécesseur et fera d’emblée face à une situation difficile et stressante.

Par ailleurs, vous avez choisi avec soin un nouveau collaborateur compétent et expérimenté. Il est donc normal que vous attendiez de lui une mise en action et des résultats rapides. N’hésitez pas à le lui faire savoir. Cela lui mettra une saine pression propice à l’action. Il ne perdra ainsi pas son temps à découvrir la nouvelle organisation qu’il intègre, à faire connaissance avec sa nouvelle équipe et à se familiariser avec l’environnement de la structure. Vous créez ainsi les conditions pour qu’il entre immédiatement dans l’agitation. Pour augmenter ce phénomène n’hésitez pas, en parallèle de sa mission de management à lui ajouter un certain nombre de projets spécifiques dont il aura la charge.

Une conséquence supplémentaire liée au recrutement : faire dans l’urgence vous permettra de ne pas prendre le temps de déterminer préalablement ce que vous attendez de votre futur collaborateur, ni de définir les priorités de son action.

Un colonel des sapeurs-pompiers me demande mon point de vue sur le recrutement du futur directeur de l’école nationale des sapeurs-pompiers. Il ajoute :

— Ce doit évidemment être un sapeur-pompier.

Ma réponse :

— Je pense préférable que ce soit d’abord un directeur.

Le fait de mettre cette condition comme un prérequis limite le choix, élimine d’emblée certains candidats qui peuvent être intéressants et augmente la probabilité de rester dans le moule. Dans certains secteurs, cela conduit à des chasses gardées réservées à des individus ayant « le bon diplôme », sortant de « la bonne école », ayant eu « le bon parcours ». C’est un excellent moyen de cultiver la consanguinité. Le candidat ainsi recruté aura tendance à faire de même pour le recrutement de ses futurs collaborateurs.

À propos de consanguinité, comme disait le Papé dans Jean de Florette : « ce qui n’est pas bon pour les lapins n’est pas bon pour les gens ». A contrario, il y a de nombreux exemples de cadres ayant eu des résultats remarquables dans des organisations dont les activités sont très éloignées de leur milieu d’origine. Un œil neuf, combiné à une réelle expertise sur l’essentiel et à une passion pour mettre cette expertise en action peut être un cocktail particulièrement puissant.

Si vous êtes le supérieur hiérarchique du candidat à recruter, laissez faire les gens de la RH, c’est leur job. Et vous avez tellement d’autres priorités. Si tout ne se passe pas comme prévu vous saurez rendre à César ce qui lui appartient. De même, ne perdez pas votre temps à consulter les futurs collègues du candidat pour avoir leur avis. Une idée encore plus saugrenue consiste à envisager de consulter ses futurs collaborateurs. Pour le changement du mobilier de leur bureau, d’accord, mais pas pour le choix de leur futur chef ! Ne jamais confondre l’important et l’essentiel !

Vous recrutez votre futur directeur de l’environnement. Vous allez donc logiquement rechercher un spécialiste de l’environnement ayant fait de longues études supérieures et ayant une réelle expérience en la matière. Vu son parcours, la personne concernée sera certainement passionnée par les actions dans ce domaine.

Imaginons que vous identifiez et que vous recrutiez un candidat qui a ce profil idéal : non seulement il répond aux critères précédemment annoncés mais, dans une fonction antérieure de chef de projet, il a mené à bien des actions en lien avec l’environnement qui ont eu des résultats remarquables. Et c’est un plaisir de voir l’enthousiasme dont il fait preuve lorsqu’il en parle. Il saura certainement communiquer cet enthousiasme aux six chefs de projets et aux huit techniciens qui composent son équipe. Tout cela n’est qu’évidence et bon sens, n’est-ce pas ?

De mon point de vue, il s’agit d’une erreur classique dans le recrutement d’un manager : privilégier d’abord chez le candidat une expertise technique dans le domaine concerné, en faire un critère éliminatoire.

En quoi est-ce une erreur ? Pour répondre à cette question il suffit de dérouler le film : vous avez recruté ce candidat idéal. Vu son expertise, il va rapidement identifier des actions à entreprendre. Il va tout aussi rapidement définir les modalités appropriées pour les mener à bien. Il va donc s’attaquer avec détermination, compétence et enthousiasme à mettre en œuvre ces actions, surtout si vous avez eu la bonne idée d’ajouter à ses fonctions de directeur des projets spécifiques qu’il doit mener à bien personnellement. Il sera tellement absorbé par ces projets à mener qu’il n’aura pas le temps de manager son équipe. Cela va se traduire mécaniquement par des dysfonctionnements techniques : perte d’efficacité collective, de fiabilité, de cohérence. Puis, des difficultés d’ordre psychologique risquent d’apparaître avec ses collaborateurs et avec ses collègues : tensions, clans, problèmes relationnels, démotivation.

Ces phénomènes risquent d’être aggravés par le fait que ce nouveau directeur, du haut de son expertise qui est réelle, aura tendance à expliquer à ses collaborateurs, à ses collègues et à ses supérieurs comment il faut faire. Je ne suis pas sûr que ce comportement soit particulièrement apprécié. Sa hiérarchie, séduite par ses premiers succès, risque de mettre un certain temps avant de s’apercevoir que son équipe n’en est pas une et qu’elle est en train de dérailler. Ne comptez pas trop sur le directeur pour alerter ses supérieurs dès les premiers signes de dysfonctionnement : soit il ne les voit pas, trop absorbé par les projets passionnants à mener, soit il en méconnaît l’importance. Et lorsque la réalité s’impose à lui, il risque de ne pas savoir comment réagir, son expertise n’étant pas dans le management.

j’interviens auprès d’un directeur, suite à plusieurs alertes dans le fonctionnement de son équipe. Je lui présente certains outils fondamentaux de management. Il me dit :

— Je trouve ces outils très intéressants, concrets et opérationnels. Il ajoute dans un soupir : le problème, c’est que je n’ai pas le temps de les mettre en place.

Je lui demande :

— Pouvez-vous m’indiquer ce qui est écrit sur la plaque apposée sur la porte de votre bureau, sous votre nom ?

— Euh, directeur.

— Si je comprends bien, vous êtes directeur mais vous n’avez pas le temps de diriger. Avez-vous confié cette mission à une autre personne ?

— Euh, non.

— Donc, votre équipe est en pilotage automatique ?

Personnellement, j’hésiterai à monter dans un avion où le commandant de bord n’a pas le temps de piloter et je ne suis pas sûr que l’équipage apprécie l’exercice. Je crains que les collaborateurs les plus lucides soient tentés de sauter en parachute dès qu’ils en ont l’occasion.

Quelle est l’origine du problème ? De mon point de vue, il s’agit d’une erreur de casting. La direction a embauché un expert d’un domaine spécifique alors que le rôle de ce dernier est de manager. Un remarquable footballeur ne fait pas forcément un bon entraîneur et un footballeur de niveau moyen peut devenir un remarquable entraîneur, pourtant c’est toujours du football. Ma suggestion : s’il s’agit de manager, vérifiez que le candidat pressenti dispose d’une réelle compétence dans ce domaine, qu’il a fait le deuil du plaisir de mettre en œuvre son expertise technique et qu’il a su le remplacer par le plaisir de manager.

Un contre-exemple : j’interviens en accompagnement au management d’un chef d’atelier. Nous avons une séance de travail dans son bureau qui surplombe l’atelier en question. Je lui présente certains fondamentaux du management. Soudain, il me fait signe d’interrompre ma présentation. Je le vois écouter avec attention des bruits venant de l’atelier par une fenêtre du bureau laissée ouverte. Il se lève en me disant :

— Excusez-moi, je reviens tout de suite. Il enfile sa blouse, pendue au portemanteau et sort de la pièce. Par la fenêtre, je le vois descendre dans l’atelier, écarter un ouvrier et se faufiler sous une machine. Quelques minutes plus tard il vient me rejoindre.

— Désolé, me dit-il. Mais il fallait que j’intervienne. En disant cela, il a un large sourire. Manifestement, il n’a pas fait le deuil de son expertise technique. Pour lui, elle reste clairement la priorité. Il n’a donc pas lâché sa blouse.

J’illustre ce que j’en ai compris par l’exemple suivant : Dans une équipe de production la direction cherche son futur chef d’équipe. Elle va naturellement choisir Marcel, le meilleur ouvrier. Puis elle aura besoin d’un chef d’atelier, elle va sélectionner pour cela le meilleur chef d’équipe. Imaginons que Marcel soit à nouveau désigné et qu’après un certain temps il soit à nouveau promu directeur de fabrication. À chaque étape Marcel va changer de métier. Il va devoir renoncer à un métier dans lequel il a une expertise, pour lequel il est reconnu qui est à la fois son plaisir et sa fierté, pour exercer un nouveau métier qui demande des aptitudes et des compétences différentes.

Deux conséquences : à chaque étape la direction a la certitude de perdre le meilleur collaborateur sans avoir la garantie que la promotion ainsi accordée donne les résultats escomptés. Si un jour Marcel atteint son seuil d’incompétence dans un nouveau poste il ne pourra plus prétendre à gravir les échelons et il restera donc bloqué à ce niveau où ses performances seront médiocres et où sa motivation va se dégrader.

Quelques suggestions : dans le cas d’une promotion interne, pour ne pas tomber dans le panneau du seuil d’incompétence de Peter, je vous conseille, à chaque étape, de vérifier avec Marcel qu’il a pris en compte les conséquences de ses nouvelles missions, de vérifier avec lui qu’il est prêt à faire le deuil de certains de ses fonctionnements antérieurs, de l’aider à identifier les compétences nouvelles qu’il doit développer, de l’accompagner à le faire et de suivre de près son intégration dans ses nouvelles fonctions.

Si vous décidez de ne pas suivre mes pertinentes suggestions pour vous rater dans le recrutement d’un cadre cela va vous conduire à vérifier prioritairement sa compétence et son appétence dans le domaine du management.

Comment faire ? J’envisage de vous présenter mes réflexions et mes suggestions en la matière dans un prochain article.

Affaire à suivre.