j’interviens auprès d’un directeur, suite à plusieurs alertes dans le fonctionnement de son équipe. Je lui présente certains outils fondamentaux de management. Il me dit :
— Je trouve ces outils très intéressants, concrets et opérationnels. Il ajoute dans un soupir : le problème, c’est que je n’ai pas le temps de les mettre en place.
Je lui demande :
— Pouvez-vous m’indiquer ce qui est écrit sur la plaque apposée sur la porte de votre bureau, sous votre nom ?
— Euh, directeur.
— Si je comprends bien, vous êtes directeur mais vous n’avez pas le temps de diriger. Avez-vous confié cette mission à une autre personne ?
— Euh, non.
— Donc, votre équipe est en pilotage automatique ?
Personnellement, j’hésiterai à monter dans un avion où le commandant de bord n’a pas le temps de piloter et je ne suis pas sûr que l’équipage apprécie l’exercice. Je crains que les collaborateurs les plus lucides soient tentés de sauter en parachute dès qu’ils en ont l’occasion.
Quelle est l’origine du problème ? De mon point de vue, il s’agit d’une erreur de casting. La direction a embauché un expert d’un domaine spécifique alors que le rôle de ce dernier est de manager. Un remarquable footballeur ne fait pas forcément un bon entraîneur et un footballeur de niveau moyen peut devenir un remarquable entraîneur, pourtant c’est toujours du football. Ma suggestion : s’il s’agit de manager, vérifiez que le candidat pressenti dispose d’une réelle compétence dans ce domaine, qu’il a fait le deuil du plaisir de mettre en œuvre son expertise technique et qu’il a su le remplacer par le plaisir de manager.
Un contre-exemple : j’interviens en accompagnement au management d’un chef d’atelier. Nous avons une séance de travail dans son bureau qui surplombe l’atelier en question. Je lui présente certains fondamentaux du management. Soudain, il me fait signe d’interrompre ma présentation. Je le vois écouter avec attention des bruits venant de l’atelier par une fenêtre du bureau laissée ouverte. Il se lève en me disant :
— Excusez-moi, je reviens tout de suite. Il enfile sa blouse, pendue au portemanteau et sort de la pièce. Par la fenêtre, je le vois descendre dans l’atelier, écarter un ouvrier et se faufiler sous une machine. Quelques minutes plus tard il vient me rejoindre.
— Désolé, me dit-il. Mais il fallait que j’intervienne. En disant cela, il a un large sourire. Manifestement, il n’a pas fait le deuil de son expertise technique. Pour lui, elle reste clairement la priorité. Il n’a donc pas lâché sa blouse.