Manager de transition, donner du poisson ou apprendre à pêcher ?

Une organisation fait souvent appel à un manager de transition lorsque la structure concernée doit évoluer et qu’elle ne dispose pas en interne du manager en mesure de conduire ce changement.

Le commanditaire de la démarche va devoir choisir entre deux modes d’intervention qui impliquent deux types de managers de transition :

En fonction des objectifs qui lui sont assignés, le manager de transition va faire un diagnostic, identifier les points forts et les limites de la structure concernée, les opportunités et les contraintes. Puis il va élaborer un plan d’action qu’il va soumettre à son commanditaire. Celui-ci peut être légitimement séduit car ce plan d’action est clair, précis, construit et cohérent. De plus le manager de transition connaît son affaire, il est expérimenté et déterminé.

« Donc, y a plus qu’à ! ». Le manager de transition va mettre en œuvre le plan d’action défini de façon précise et rigoureuse.

Pour cela il va donner des directives aux personnels concernés. Le style de management appliqué est directif : il dit précisément ce qu’il veut et tout aussi précisément comment il veut que chaque tâche soit faite : « un comportement professionnel de chacun, pas d’improvisation, pas d’approximation ». Puis il vérifie régulièrement que ses consignes soient scrupuleusement respectées. Il fait donc appel à la soumission de ses collaborateurs.

Les consignes sont faites pour que les cons signent. Il ne s’agit pas de réfléchir mais d’exécuter.

Trois types de réactions courantes :

Les collaborateurs vont se conformer aux consignes. Ils arrêtent de réfléchir, ils exécutent. Les conséquences :

  • Les directives doivent être définies jusque dans le moindre détail, les collaborateurs n’ayant aucune autonomie et aucune faculté d’adaptation à des situations spécifiques.

  • Lorsqu’il y a un problème le collaborateur ne cherche pas une solution, il cherche le chef, car c’est ce dernier qui doit dire comment faire.

  • Ayant créé la dépendance, le manager de transition va passer le plus clair de son temps à vérifier, compléter, ajuster, rectifier.

  • Il ne peut plus partir, sa présence constante étant indispensable. Il n’est donc plus manager de transition.

  • Il passe son temps le nez dans le guidon. Il peut s’agacer et/ou s’épuiser, voire finir par laisser tomber : « ils sont vraiment trop nuls » ou « je ne suis pas à la hauteur », ou les deux.

Donc, face à la démarche directive du manager de transition, certains peuvent ne pas se sentir reconnus dans leurs compétences, leur expérience, leur connaissance de la réalité, dans leur capacité de réflexion. Ils peuvent ne pas l’accepter et être alors tentés de résister. Cette résistance peut prendre des formes diverses. Par exemple :

La résistance frontale : le conflit : grève avec ou non occupation de locaux, informations à la presse, épanchements dans les réseaux sociaux…

Des manifestations moins spectaculaires : actions de sabotages localisés, rumeurs, bruits de couloir, luttes de pouvoir, clans, tentatives de déstabilisation du manager de transition en le privant par exemple d’informations importantes…

Dois-je détailler les dégâts que ces types de comportements peuvent causer sur l’efficience et sur l’ambiance ?

La personne semble se soumettre à l’injonction. En fait elle « n’en pense pas moins ». Par exemple, elle laisse dire, fait croire qu’elle se conforme et, dès que le manager de transition a le dos tourné, elle fait à sa guise. Il faut juste que le chef ne s’en aperçoive pas, « pas vu, pas pris ! ».

Une autre option : tendre un piège au manager de transition : lorsque ce dernier donne les consignes, si le collaborateur se rend compte que le manager de transition a oublié un élément important, il ne dit rien et fait exactement comme indiqué. Évidemment le résultat n’est pas bon. Et quand le chef s’en aperçoit le collaborateur dit « je ne comprends pas, chef, j’ai tout fait exactement comme vous m’avez dit ! ». Et, au final, quel est l’abruti des deux ? Pour les coups tordus l’imagination de nos contemporains est sans limite.

Sans commentaire sur les dégâts vraisemblables.

Le pompon ! Si les collaborateurs se répartissent entre les trois options : certains arrêtent de réfléchir et font comme on leur dit, « chef, oui chef ! », d’autres partent en guerre et les restants font la savonnette. Bon courage au manager de transition !

Dans ce cas, le rôle premier du manager de transition n’est pas de résoudre, mais d’accompagner les acteurs internes de l’organisation à développer les compétences nécessaires pour mener à bien les changements recherchés. Le manager de transition ne va pas se contenter de faire un diagnostic qu’il assène à un auditoire plus ou moins conquis. Il accompagne ses interlocuteurs à faire eux-mêmes ce diagnostic. Son rôle est alors de conduire une démarche qui assure la cohérence des résultats.

Trois avantages :

  • Il limite les incompréhensions et les résistances ultérieures car le diagnostic est le fruit du travail de ses interlocuteurs.

  • Il bénéficie de leurs compétences, de leur expérience et de leur connaissance de la réalité.

  • Ils ont intégré la méthode. Lorsque le manager de transition aura quitté l’organisation, ils seront capables de la reproduire de façon autonome.

Une anecdote : j’ai conduit un diagnostic avec l’équipe d’un office de tourisme. Quelques mois après l’équipe a décidé de reprendre cette démarche sur un autre thème. Par précaution sa directrice m’a demandé d’assister à leur séance de travail afin de vérifier que l’équipe respectait le protocole. Je suis resté assis sur une chaise pendant les trois heures de la réunion, puis j’ai conclu la séance de travail par un mot : « bravo ! ». C’est certainement l’une de mes interventions dont je suis le plus fier.

Aristote semble plutôt pencher pour la deuxième option. Je fais de même, avec une nuance : parfois la réalité impose la première option. Si une personne est inanimée et en train de mourir de faim, il vaut peut-être mieux commencer par l’alimenter. Lorsqu’elle aura repris des forces, il sera temps de lui apprendre à pêcher.

Un exemple de démarche combinée : j’interviens pour une structure qui souhaite un diagnostic complet et exhaustif de son organisation et de son management. Lors d’un entretien préalable avec le commanditaire, je découvre que le directeur général est sur le départ et que trois des cinq postes de directeur adjoint sont vacants. Faire un diagnostic dans ces conditions me paraît incohérent. C’est comme vouloir analyser les gestes d’un tennisman qui joue avec une raquette trouée. D’abord on bouche les trous ! Il s’agit donc de recruter.

Je vais donner du poisson tout en enseignant l’art de la pêche : je propose une démarche structurée et solide de recrutement. Je pilote cette démarche. J’associe les collaborateurs concernés et mon commanditaire dans la mesure où le choix final du candidat retenu lui appartient. Recruter, c’est aussi délicat et complexe que la pêche à la mouche. Cela ne supporte pas l’improvisation et l’amateurisme.

Il est donc impératif que tous les acteurs de l’organisation amenés à y participer développent une vraie compétence en la matière. Ils n’auront donc plus besoin de mes services lors de recrutements futurs.

Voir mes articles précédents : comment rater le recrutement d’un cadre ? L’intégration, la clé d’un recrutement réussi.

Le commanditaire peut être président ou maire d’une collectivité, propriétaire, actionnaire principal d’une entreprise, ou son représentant. C’est la personne qui prend les décisions stratégiques. Trois types de comportements avec des variantes :

  • Le commanditaire qui délègue. Il valide les orientations stratégiques, puis il laisse une grande autonomie au manager de transition et à l’équipe de direction.

  • Le commanditaire interventionniste. Il veut tout voir, tout savoir jusque dans les moindres détails. Il intervient souvent de façon directive. Son moteur principal est la peur. Il a besoin d’être rassuré.

  • Le commanditaire qui oscille entre ces deux comportements. Il laisse faire, puis il intervient parfois de façon brusque et imprévisible.

Dans tous les cas, je considère que le rôle premier d’un manager de transition est de créer et d’entretenir une relation de coopération avec le commanditaire, quel que soit son mode de fonctionnement. Pour cela, l’idée est de le tenir régulièrement informé de la progression de la démarche, de lui proposer les modalités de chaque action significative et de les lui faire valider. C’est un moyen de le reconnaître dans sa fonction de superviseur, de limiter les risques de coups de théâtre et d’interventions intempestives. C’est d’autant plus important lorsque lui-même est tenu de rendre compte régulièrement à des instances supérieures.

C’est également un bon moyen de lui permettre de comprendre la démarche en cours, d’en percevoir les enjeux et la cohérence et donc de développer en douceur ses compétences et de professionnaliser sa démarche lorsque c’est nécessaire.

En conclusion, je considère que le rôle du manager de transition n’est pas simplement de poser un diagnostic pertinent et de mettre en œuvre les actions appropriées, mais également d’accompagner chaque interlocuteur à être un acteur actif et conscient de la démarche. La mission du manager de transition est accomplie lorsque ses interlocuteurs n’ont plus besoin de ses services. La pédagogie prime donc sur l’expertise technique. Cela fait le charme et la complexité de ce beau métier.

Quand j’étais gamin, il y a longtemps, lorsque le médecin avait dit à ma mère que je devais finir la boîte de médicaments, il fallait la finir ! « Parce que le docteur a dit ! ».

Je constate que la propension à la soumission a beaucoup diminué ces derniers temps. Il est parfois loin le bon vieux temps où il suffisait d’avoir les galons pour être obéi. La nouvelle génération a dynamité le concept. Et le pire c’est qu’elle a progressivement contaminé les plus anciens. Cela a tendance à chambouler les rapports entre les personnes et les équipes et à imposer de nouvelles façons de gérer les relations.

Un exemple : la relation patient / soignant :

J’interviens lors d’un séminaire organisé sur ce thème au CHU de Grenoble devant un aréopage de blouses blanches. Après avoir présenté les éléments développés ci-dessus, je termine mon intervention par cinq messages :

  • Cessez de les appeler patients, ils le sont de moins en moins.

  • Cessez de faire des ordonnances. Dans une ordonnance, vous ordonnez. Vous faites appel à la soumission.

  • Faites plutôt des prescriptions.

  • Si vous voulez augmenter la probabilité que votre interlocuteur suive vos prescriptions, en plus du quoi (médicaments à prendre…) ajoutez le pour quoi (à quoi ils servent, ce qu’ils vont apporter). L’humain est ainsi fait qu’il est plus motivé et plus fiable lorsqu’il sait à quoi sert ce qu’il fait.

  • Avec le comment (la posologie, les précautions spécifiques…), ajoutez le pourquoi : les opportunités s’il suit vos prescriptions, les risques ou les problèmes s’il ne le fait pas. Vous lui donnez ainsi accès aux enjeux. Vous ne faites plus appel à sa soumission mais à sa réflexion. C’est une marque de considération. L’humain est également ainsi fait qu’il a plutôt tendance à considérer les personnes qui lui montrent de la considération.

J’ai fait le même type d’intervention en ouverture des journées d’étude de la Société Française de Pharmacie Clinique.

En conclusion, savoir instaurer une coopération positive avec son entourage devient déterminant pour tous les professionnels qui ont un métier où la qualité de la relation est importante.

Cela ne concerne pas que les managers de transition : qu’ils dirigent une crèche, un entrepôt, une pharmacie, qu’ils bâtissent, réparent, améliorent, coordonnent, accompagnent, gérer l’humain est au cœur de leur métier. Délicat et passionnant.

Si vous souhaitez en savoir plus, je vous suggère la lecture de mon ouvrage sur la coopération positive.